jeudi 28 mars 2024

Nouvelle image de polarisation de Sgr A* dévoilée par l'EHT


La collaboration Event Horizon Telescope (EHT)  vient de dévoiler une nouvelle image de l’anneau de plasma entourant Sgr A*, cette fois-ci avec des données de polarisation, révélant la direction des puissants champs magnétiques qui s'enroulent en spirale autour du trou noir supermassif. Ils publient deux articles dans The Astrophysical Journal Letters.

mercredi 27 mars 2024

L'azote des galaxies primitives, fruit d'étoiles de population III supermassives


Une équipe d'astrophysiciens démontre que les toutes premières étoiles, des étoiles de Population III, qui auraient une masse entre 2000 et 9000 M⊙ chacune permettent d'expliquer les rapports N/O, C/O et O/H qui ont été observés dans les galaxies à très haut redshift : les galaxies GN-z11 et CEERS 1019. Ils publient leur étude dans Astronomy & Astrophysics.

vendredi 22 mars 2024

Anneaux de Saturne : de la glace d'eau pure et cristalline


Des planétologues ont utilisé le télescope Webb pour analyser la composition des anneaux de Saturne, ainsi que quatre de ses petites lunes (Épiméthée, Pandora, Télesto et Pallène). Les spectres dans le proche infra-rouge obtenus avec NIRSpec et MIRI révèlent une composition quasi pure en glace d'eau cristalline. Ils publient leur étude dans Journal of Geophysical Research:Planets

jeudi 21 mars 2024

Observation d'étoiles extrêmement pauvres en métaux dans le Grand Nuage de Magellan


Le Grand Nuage de Magellan (LMC) est la galaxie satellite la plus massive de la Voie lactée, qui n'est tombée que récemment dans le puits de potentiel de notre Galaxie (il y a environ 2 milliards d'années). Ses étoiles les plus anciennes et déficientes en éléments lourds (de « faible métallicité ») sont des fenêtres uniques sur la formation des premières étoiles et la nucléosynthèse dans une région autrefois lointaine de l'univers. Une équipe d'astrophysiciens a identifié dix étoiles du LMC extrêmement déficientes en métaux, dont la plus extrême est l'étoile la plus déficiente en métaux du LMC jamais identifiée. Ils publient leur étude dans Nature Astronomy.

mardi 19 mars 2024

Observation de la naissance d'un AGN


Une équipe d’astrophysiciens vient d’observer la naissance d’un AGN (noyau actif de galaxie). Ils ont détecté une activité de type AGN dans une galaxie qui était précédemment classée comme non active et ils ont pu ensuite caractériser l'évolution de cet AGN nouveau-né. Ils publient leur étude dans Astronomy&Astrophysics.

Les observations et les modèles indiquent que la fraction de galaxies actives dans l'Univers local est d'environ 10%. Cela peut être interprété comme un cycle, où 10% des galaxies seraient actives à un moment donné. Des preuves indirectes suggèrent également que l'activité des noyaux de galaxies varie de plusieurs ordres de grandeur sur des échelles de temps de comprises entre 10 000 ans et 10 millions d’années. L'estimation de ce taux d'activation (et alternativement, combien de fois chaque galaxie s'est allumée et éteinte) est importante pour contraindre les mécanismes d'alimentation des trous noirs centraux dans les modèles d'évolution des galaxies.

Les AGN naissants, c’est-à-dire une galaxie passant d'un état de repos ou de formation d’étoiles à un noyau actif de galaxie de type I, sont exceptionnellement difficiles à détecter. Une partie de la difficulté provient des données disponibles, puisque la plus grande étude spectroscopique (celle du SDSS) était à l'origine peu profonde, et visait principalement des galaxies qui étaient brillantes à un moment et qui ont pu devenir plus faibles par la suite - et non l'inverse.

Patricia Arevalo (université de Valparaiso) et ses collaborateurs ont recherché spécifiquement des galaxies candidates montrant un « allumage » de leur trou noir supermassif. Les candidates ont été sélectionnées à partir d'un échantillon de 2 394 312 galaxies non actives, qui présentent actuellement une variabilité de flux optique indiquant la possibilité d’un AGN de type I, selon le classificateur de courbes de lumière ALeRCE. Parmi toutes les signatures possibles de l'activité des AGN, les chercheurs se sont concentrés ici sur la classification spectrale optique. Ce choix est justifié par la disponibilité de données spectrales d'archives et la facilité d'obtenir de nouveaux spectres. De plus, cette approche permet d'identifier l'activité des AGN sans ambiguïté.

Une caractéristique clé des galaxies de Seyfert I et des quasars est la présence de larges raies d'émission dans leurs spectres optiques, avec des largeurs de milliers de km s-1. Par conséquent, l'identification de raies d'émission larges dans une galaxie quiescente précédemment classée par spectroscopie peut constituer une preuve irréfutable de l'existence d'un événement d'allumage d'un trou noir.

Les archives publiques contiennent environ deux millions de galaxies dont les spectres optiques ne présentent pas de raies d'émission larges (ou d'autres caractéristiques permettant de les identifier comme des AGN) et qui ont été obtenus il y a une dizaine d'années. Il est donc possible de détecter des événements d'allumage dans ce vaste ensemble de données s'ils se produisent plus fréquemment qu'environ 1/20 000 000 par an. Cependant, la réobservation de toutes ces galaxies n'est pas pratique, et les astrophysiciens doivent donc trouver d'autres critères pour la sélection des cibles. Heureusement, il existe une autre caractéristique distinctive des quasars et des galaxies de Seyfert I, qui est leur variabilité persistante et stochastique du flux optique (comme l’avaient montré MacLeod et al. en 2010 et Sánchez-Sáez et al. en 2018). De telles variations sont très rares même dans les AGN de type II et encore plus rares dans les galaxies quiescentes.

Arevalo et ses collaborateurs présentent la première identification réussie d'une transition d'un AGN non actif à un AGN de type I, qui a été réalisée en sélectionnant des cibles basées sur la variabilité optique et validée par l'apparition de larges raies d'émission dans le spectre optique. Cette galaxie est nommée ZTF20aaglfpy.


Pour les chercheurs, les preuves en faveur d'un AGN nouveau-né comprennent principalement : l'apparition de raies d'émission de Balmer larges et proéminentes et d'un continuum bleu au-dessus de la population stellaire, ainsi que des raies d'émission étroites visibles à la fois dans les anciens et les nouveaux spectres. Des preuves supplémentaires de la transition d'un noyau galactique inactif à un noyau galactique actif sont une augmentation régulière du flux optique pendant au moins 2500 jours, ainsi qu'un changement de la couleur. Ce dernier est cohérent avec une galaxie qui était inactive fin octobre 2010 et qui est devenue plus tard de manière consistante plus semblable à un AGN.

Arevalo et son équipe avancent en outre une preuve supplémentaire de l'activité actuelle, qui est la détection d'une source variable de rayons X, avec une luminosité sur la plage 2-10 keV d'environ 1043 erg s-1. Une seule explosion d'étoile massive à ce jour, AT2020mrf, a été rapportée comme ayant atteint une luminosité similaire avec une luminosité dans cette plage énergétique de 2 1043 erg s-1 (Yao et al. 2022). Le flux de rayons X de l'explosion stellaire AT2020mrf avait cependant diminué d'un facteur 10 un an plus tard, alors que ZTF20aaglfpy est restée à un niveau de flux similaire pendant les 550 jours couverts par les quatre relevés d'eROSITA. Les courbes de lumière optique sont également très différentes, AT2020mrf montrant une forte augmentation et un lent déclin, tandis que ZTF20aaglfpy montre une augmentation lente et régulière avec des éruptions récurrentes à plus courte échelle de temps.

Les chercheurs notent que les raies d'émission étroites continuent de présenter un rapport indiquant une formation d'étoiles et non un AGN. Cette absence de réaction peut s'expliquer selon eux si le temps de parcours différentiel de la lumière jusqu'à l'observateur via la région des raies étroites est plus long que le temps écoulé depuis l'allumage de l'AGN (dont les photons seraient vus d’une manière directe). Arevalo et ses collaborateurs prennent la différence de temps entre les deux observations spectroscopiques (c'est-à-dire 6674 jours) comme limite supérieure pour le temps écoulé entre l'allumage de l'AGN et l'observation des raies étroites dans le second spectre. Dans ce scénario, le trajet différentiel de la lumière devrait être supérieur à 18,3 années-lumière (5,6 pc), ce qui est modeste par rapport aux tailles typiques des régions à raies étroites. A titre de comparaison, Bennert et al. avaient déterminé en 2006 des tailles de régions à raies étroites de 700 pc à plus de 3 kpc sur des galaxies de Seyfert proches.

En conclusion, Patricia Arevalo et ses collaborateurs sont donc confiants sur leurs résultats spectraux qui démontrent le cas le plus convaincant d’une nouvelle activité d’AGN pour une galaxie qui avait auparavant une classification optique de formation d'étoiles. Le spectre de deuxième époque montre clairement l'apparition de raies de Balmer larges et proéminentes, sans aucun changement significatif observé dans les rapports de flux des raies étroites. Les courbes de lumière optique à long terme montrent une augmentation régulière de la luminosité à partir de 1,5 an après la prise du spectre SDSS et pendant au moins 7 ans. D’autre part, les couleurs dans l'infrarouge moyen observées avec WISE ont également évolué depuis les couleurs typiques des galaxies non actives vers des couleurs semblables à celles des AGN. Enfin, des détections récentes de flux de rayons X confirment sa nature d'AGN.

Les observations sur le long terme permettent ainsi de déceler l’évolution rapide de certaines galaxies, dont le trou noir supermassif peut générer une forte activité puis s’arrêter aussi vite dans un environnement en perpétuelle évolution.


Source

A newborn active galactic nucleus in a star-forming galaxy

P. Arévalo et al.

A&A Volume 683, 13 March 2024

https://doi.org/10.1051/0004-6361/202348900

 

Illustrations

1. Image composite de l'AGN Centaurus A  [X: NASA/CXC/SAO; Optique: Rolf Olsen; Infrarouge : NASA/JPL-Caltech]

2. Spectres enregistrés avant et après la naissance de l'AGN dans ZTF20aaglfpy. (Arevalo et al.)

3. Patricia Arevalo


jeudi 14 mars 2024

Europe produit moins d'oxygène moléculaire que prévu


Europe, la lune de Jupiter, a une surface principalement constituée de glace d'eau qui est modifiée par l'exposition à son environnement spatial. Les particules chargées brisent les liaisons moléculaires dans la glace de surface, dissociant ainsi l'eau pour produire finalement de l'hydrogène et de l'oxygène, qui fournit un mécanisme d'oxygénation potentiel pour l'océan souterrain d'Europe. Une équipe de chercheur vient de réévaluer la production d'oxygène à la surface d'Europe à partir de mesures directes. Ils publient leur étude dans Nature Astronomy.

lundi 11 mars 2024

Parker Solar Probe et BepiColombo plongées dans une éjection de masse coronale...


Les 15 et 16 février 2022, plusieurs sondes spatiales ont mesuré l'un des événements de particules énergétiques solaires (SEP) les plus intenses observés jusqu'à présent au cours du cycle solaire 25. D
es observations très intéressantes de Parker Solar Probe (PSP) et BepiColombo ont notamment été effectuées avec une configuration où les deux sondes étaient très proches l'une de l'autre à 0,34 et 0,37 UA du Soleil. Leng Ying Khoo (Princeton university) et ses collaborateurs fournissent une analyse non seulement des flux de particules reçus par PSP et BepiColumbo, mais aussi par de nombreux signaux d'autres sondes. Ils publient dans The Astrophysical Journal

dimanche 10 mars 2024

Les amas ouverts des Pléiades, des Hyades et alpha Persei tournent aussi



En utilisant les paramètres astrométriques d'une grande précision et les vitesses radiales fournies par les données du télescope spatial Gaia, des astronomes chinois avaient déjà réussi à déterminer les paramètres 3D de rotation du célèbre amas ouvert Praesepe (alias M44 ou l'amas de la Ruche) en 2022. Ils remettent le couvert aujourd'hui en s'attaquant à trois autres fameux amas d'étoiles ouverts chers aux astronomes amateurs : les Pléiades (M45), les Hyades, et alpha Persei. Tous ces amas ouverts tournent gentiment. Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal


vendredi 8 mars 2024

Des cristaux flottants stoppent le refroidissement des naines blanches



Les étoiles naines blanches ne sont pas vouées à se refroidir inéluctablement pendant des milliards d'années. C'est ce qu'une équipe d'astrophysiciens vient de montrer, suite à des observations de naines blanches qui semblaient ne pas se refroidir.  Ils publient leur étude dans Nature

mardi 5 mars 2024

Le Grand Nuage de Magellan pesé grâce à ses amas globulaires


Une équipe d'astrophysiciens a pu estimer la masse du Grand Nuage de Magellan (LMC) en utilisant la cinématique de 30 amas globulaires de la galaxie naine. Ils ont effectué cette mesure en combinant les mouvements propres mesurés avec le télescope Hubble et le télescope Gaia. Ils publient leur étude dans The Astrophysical Journal.

vendredi 1 mars 2024

La matière fondue des impacts sur Titan peut atteindre son océan souterrain


Titan est un monde océanique sous une croûte de glace et à l'atmosphère dense, où la photochimie produit des molécules organiques complexes qui tombent à la surface. Une question importante est de savoir si ce matériau peut se mélanger à l'eau et former des molécules d'intérêt biologique. Une équipe de chercheurs a étudié l'effet des gros impacts qui chauffent la subsurface de Titan et créent des bassins d'eau liquide. Ils publient leur étude dans Journal of Geophysical Research Planets

mercredi 28 février 2024

Un trou noir de 17 milliards de masses solaires qui absorbe 1 Soleil par jour


Environ un million de quasars ont été catalogués dans l’Univers à ce jour. Les plus brillants sont aussi les plus rares et les plus difficiles à trouver. Les propriétés du plus lumineux d'entre eux, 
 J0529−4351, viennent d'être étudiées. Dans leur étude publiée dans Nature Astronomy, des astrophysiciens démontrent que le trou noir qui en est à l'origine fait 17 milliards de masses solaires et absorbe une masse solaire par jour...  

lundi 26 février 2024

K2-18b : le méthane peut être expliqué sans vie microbienne


En septembre dernier, je vous relatais un étude qui s'intéressait à l'exoplanète K2-18b qui posséderait des caractéristiques très intéressantes, à la fois aqueuses et hydrogénées avec la détection d'une trace de sulfure de diméthyle, une molécule produite par le vivant sur Terre. Des simulations de la chimie complexe dans l'environnement de K2-18b viennent d'être effectuées et les conclusions sont moins optimistes... L'étude est parue dans The Astrophysical Review Letters

K2-18b est une exoplanète de type sous-Neptune située dans la zone tempérée de son étoile. Les sous-Neptunes (∼2,4 R⊕ ) ont des taux d'occurrence élevés. Ces planètes ont des densités apparentes qui peuvent être expliquées par plusieurs modèles planétaires allant d'une atmosphère massive de dihydrogène similaire à celle de Neptune à une fine atmosphère d'hydrogène (par exemple, ∼1 bar) recouvrant un intérieur riche en H2O. Des astrophysiciens ont suggéré que les sous-Neptunes riches en H2O pourraient avoir des océans de surface habitables à condition que le climat soit adapté à l'eau liquide. Ces mondes dits « hycéens », s’ils existent, ont le potentiel de figurer parmi les environnements planétaires habitables les plus courants.

K2-18b est la candidate de ce type sans doute la plus connue maintenant. Elle a une masse de 8,63 M⊕ pour un rayon de 2,61 R⊕.  Le spectre de transmission de son atmosphère a révélé des preuves solides de la présence de CH4 et de CO2 dans une atmosphère riche en H2. De plus, Webb n'a pas détecté de NH3, H2O ou CO dans la haute atmosphère de la planète. L'ammoniac (NH3) est plutôt attendu sur une mini-Neptune avec une atmosphère massive d'hydrogène (Hu et al. 2021 ; Yu et al. 2021 ). En septembre dernier, Nikku Madhusudhan et al. montraient à partir de leurs spectres obtenus avec Webb que les données s'expliquaient mieux par un monde de type « hycéen », constitué d'une atmosphère  relativement mince d'hydrogène surplombant un océan d'eau liquide. 

Nicholas Wogan (université de Washington) et ses collaborateurs se sont repenchés sur le cas de K2-18b en utilisant des modèles photochimiques et climatiques pour simuler K2-18b d'une part comme une planète hycéenne inhabitée, d'autre part comme une planète hycéenne habitée d'espèces microbiennes, et enfin comme une mini-Neptune riche en gaz sans surface définie (donc inhabitable). 


Les chercheurs constatent qu'un monde hycéen sans vie serait difficile à concilier avec les observations du JWST, car la photochimie indique qu'il ne pourrait y avoir que moins de 1 partie par million de CH4 dans l'atmosphère de K2-18b, alors que les données indiquent qu'il y en a 1 % dans cette atmosphère, 10000 fois plus! Selon Wogan et ses collaborateurs, le maintien d'une teneur en méthane de l'ordre du pourcent peut nécessiter la présence d'une biosphère produisant du méthane qui serait similaire à la vie microbienne sur Terre il y a environ 3 milliards d'années. Wogan et ses collaborateurs montrent que si K2-18b est un monde hycéen habité par une vie microbienne, alors le CH4 et le CO pourraient être des gaz biologiquement modulés comme ils l'étaient sur la Terre archéenne anoxique. Les méthanogènes chimiosynthétiques peuvent consommer du H2 et du CO2 pour produire de l'énergie, produisant du méthane comme gaz résiduel.

Le CO est également un aliment pour les microbes acétogènes qui produisent du méthanol. Ce CH3 COOH produit aurait pu servir de nourriture aux méthanotrophes acétotrophes (CH3COOH → CH4 + CO2). Le modèle 2 des chercheurs simule K2-18b comme un monde hycéen avec des conditions aux limites représentant l'influence biologique de ces premiers métabolismes archéens. Pour modéliser la vie méthanogène, ils imposent un flux de CH4 en surface nécessaire pour reproduire le pourcentage de concentration observé dans les données JWST, qui atteint la moitié du flux de méthane biologique de la Terre moderne (5 × 1010 molécules cm-2 s-1) . Ils ajoutent également une vitesse de dépôt de CO de 1,2 × 10-4 cm s-1 pour se rapprocher de l'influence des acétogènes consommateurs de CO. À l'état d'équilibre photochimique, ce modèle 2 produit une teneur de 2 % de CH4 dans l'atmosphère, une valeur compatible avec les données de Webb.

Mais, d'un autre côté, ils démontrent qu'une mini-Neptune riche en gaz avec une métallicité égale à 100 fois la métallicité solaire un un ration C/O ayant la valeur solaire devrait contenir 4 % de méthane et près de 0,1% de CO2 , et ces chiffres sont eux aussi compatibles avec les données de Webb! Les chercheurs montrent en effet que le CH4 et le CO2 peuvent être produits thermochimiquement dans l'atmosphère profonde d'une telle planète puis mélangés vers le haut de l'atmosphère jusqu'aux basses pressions, la zone qui est sensible à la spectroscopie de transmission. De plus, le modèle de Wogan et al. prédit des abondances de H2O, NH3 et CO qui sont aussi globalement cohérentes avec les non-détections de Webb.

Pour choisir entre la solution d'une planète comportant une biosphère qui produit de grandes quantités de méthane et une mini-Neptune gazeuse, Wogan et ses collaborateurs rappellent qu'il existe des obstacles supplémentaires au maintien d'un climat tempéré stable sur les mondes hycéens, comme par exemple la fuite d'hydrogène de l'atmosphère ou la supercriticité potentielle en profondeur.  A partir de là, les planétologues favorisent l'interprétation de la mini-Neptune, surtout en raison de sa relative simplicité et du fait qu'elle a besoin de moins d'hypothèses. Mais le scénario 2 impliquant une biosphère ne peut pas être "fortement exclu".


En résumé, pour Nicholas Wogan et ses collaborateurs, la solution hycéenne habitée par une vie microbienne possède plusieurs difficultés : 

1.  Pour expliquer les 1% de CH4 détectés par JWST, une planète hycéenne a besoin de CH4 biogénique ou d'une autre source inconnue de gaz pour la maintenir contre la destruction photochimique.

2.  Les modèles prédisent qu'un climat tempéré stable est un défi sur une planète hycéenne. Une telle planète devrait connaître un effet de serre de vapeur incontrôlable, à moins que la lumière de son étoile ne puisse être réfléchie par des nuages, ce qui est toutefois possible.

3.  Une atmosphère mince d'environ 1 bar de H2 peut être sensible aux fuites provoquées par le rayonnement intense. Et le H2 ne peut pas être reconstitué par le volcanisme, car la pression exercée par l'épaisse couche de glace et d'océan sur un monde hycéen empêcherait la fonte des silicates.

En revanche, la solution mini-Neptune a plusieurs avantages :

1.  Le CH4 et le CO2 détectés par Webb peuvent être largement expliqués par un processus thermochimique en atmosphère profonde pour une métallicité 100 fois solaire , un C/O solaire et une température intrinsèque de 60 K.

2.  La cinétique de l'atmosphère profonde prédit également des abondances de NH3 et de CO qui sont compatibles avec les non-détections de ces deux gaz par Webb.

3.  L'absence de caractéristiques H2O dans les spectres peut être expliquée par une condensation de la vapeur d'eau et le piégeage froid.

4.  La modélisation 1D de base de l'équilibre radiatif-convectif peut expliquer le climat de la planète.

Les chercheurs rappellent qu'un monde hycéen habité pourrait évidemment être identifié grâce à la détection d'un gaz uniquement biogénique. Madhusudhan et coll. avaient trouvé en septembre dernier  de faibles preuves de sulfure de diméthyle (DMS) dans le spectre de transmission de K2-18b, un gaz qui est presque exclusivement produit par la vie sur Terre (presque...). Si le DMS est finalement détecté de manière statistiquement significative, il pourrait être difficile d'expliquer sa présence sans biosphère sur une planète hycéenne. Webb va retourner au turbin...


Source

JWST Observations of K2-18b Can Be Explained by a Gas-rich Mini-Neptune with No Habitable Surface

Nicholas F. Wogan et al.

The Astrophysical Journal Letters, Volume 963, Number 1 (20 february 2024)

https://doi.org/10.3847/2041-8213/ad2616


Illustration

1. Vue d'artiste de K2-18 b (NASA, CSA, ESA, J. Olmsted (STScI), Science: N. Madhusudhan (Cambridge University))

2. Teneur des différentes espèces chimiques en fonction de la pression pour les modèles de planète hycéenne sans vie microbienne à gauche et avec vie microbienne à droite (Nicholas F. Wogan et al.)

3. Teneur des différentes espèces chimiques en fonction de la pression pour le modèle de planète sous-Neptune gazeuse (sans vie microbienne) (Nicholas F. Wogan et al.)

4. Nicholas F. Wogan

vendredi 23 février 2024

Webb dévoile une étoile à neutrons dans le résidu de la supernova SN 1987A


Un mystère vieux de plusieurs décennies concernant l'une des explosions d'étoiles les plus célèbres de l'histoire vient d'être résolu par le télescope spatial James Webb (JWST). Nous parlons de la supernova historique SN1987A et de la nature de l'astre compact qui en est le résidu. Une équipe montre la preuve que c'est une étoile à neutrons et non un trou noir, ils publient leur travail dans Science.

mercredi 21 février 2024

Un champ magnétique de type dynamo produit lors des fusions d'étoiles à neutrons


Les fusions d’étoiles à neutrons sont complexes à comprendre. Une petite pièce du puzzle vient peut-être d'être résolue par une équipe d'astrophysiciens grâce à une simulation super chiadée qui permet d'expliquer comment des courts sursauts gamma peuvent être lancés par un magnétar grâce au champ magnétique de type dynamo qui est produit au moment de la collision/fusion. L'étude est publiée dans Nature Astronomy.

Les observations à multi-messagers de la fusion d'étoiles à neutrons GW170817 et en particulier les détections de rayons gamma par les télescopes spatiaux Fermi et Integral ont confirmé que les étoiles à neutrons en collision sont une source de sursauts gamma (GRB) de courte durée. Même si les observations de GW170817 ont commencé à révolutionner notre compréhension de l’émission des étoiles à neutrons en fusion, de nombreuses questions restent ouvertes. L’une de ces questions concerne la nature du moteur qui entraîne le GRB, notamment s’il s’agit d’une étoile à neutrons hautement magnétisée (un magnétar) ou d’un trou noir formé après la fusion.
Un élément clé dans l'évaluation de l'hypothèse magnétar est la manière dont les champs magnétiques extrêmes nécessaires pour expliquer les émissions peuvent être créés. Kenta Kiuchi (Institut Max Planck de physique gravitationnelle (Institut Albert Einstein) à Potsdam) et ses collaborateurs ont produit une simulation à ultra haute résolution qui démontre comment ces champs extrêmes peuvent être créés à la suite de la collision chaotique et turbulente de deux étoiles à neutrons. En résolvant les mouvements turbulents à petite échelle dans leurs simulations, ils montrent que de petites zones de champ extrêmement puissant s'organisent en une structure plus grande qui est capable de lancer un écoulement à partir du reste du magnétar et qui serait énergétiquement compatible avec l'émission typique du GRB.
Les magnétars ont généralement des intensités de champ magnétique de l'ordre de 1015 G. Bien que les magnétars puissent être fabriqués dans différents environnements astrophysiques, un canal de formation possible passe par la collision de deux étoiles à neutrons. La turbulence qui se développe lors de la collision et dans l'objet résiduel a été suggérée comme mécanisme permettant d'amplifier le champ magnétique. Lorsque les deux étoiles à neutrons plongent l’une dans l’autre, la majorité de leur moment cinétique orbital est absorbée par la rotation du résidu. Kiuchi et ses collaborateurs montrent que cela conduit à de forts écoulements de cisaillement. Et le long de ces couches de cisaillement, l'instabilité de Kelvin – Helmholtz (IKH) peut créer de petits vortex de champ magnétique puissant (similaire à la façon dont les vagues sont créées à la surface d'un lac dans des conditions venteuses). À mesure que l'objet compact résiduel se stabilise, l’instabilité magnéto-rotationnelle (IRM) peut encore amplifier le champ magnétique et entraîner des mouvements turbulents. La simulation de l'évolution turbulente de la fusion et du résidu est un défi car elle implique les quatre forces fondamentales : la gravité sous relativité générale pour modéliser la collision relativiste, les forces nucléaires fortes et faibles pour modéliser la matière extrêmement chaude et dense du magnétar et leurs processus de refroidissement. via les neutrinos et la force électromagnétique pour gérer les plasmas hautement magnétisés qui se forment dans les restes de la collision.
Et ces simulations sont extrêmement exigeantes en termes de calcul et gourmandes en ressources, car il existe un contraste important entre les mouvements turbulents à petite échelle qui doivent être résolus et la taille et les échelles de temps totales du système. Bien que des simulations de turbulence à haute résolution aient démontré dans le passé que l'IKH et l'IRM peuvent générer de petites zones de champ magnétique de type magnétar, il était moins clair de savoir comment ce champ pouvait être ordonné dans un champ magnétique plus grand pour former les structures à grande échelle nécessaires. Il faut en effet pouvoir expliquer les flux sortants du reste du magnétar et qu'ils soient suffisamment énergétiques pour expliquer les observations du GRB.
Kiuchi et coll. montrent que les processus d'amplification non linéaires (en particulier un effet dynamo) apparaissent. Une interaction entre des mouvements circulaires introduits dans la direction radiale α par convection et dans la direction azimutale Ω par rotation conduit à une boucle de rétroaction positive à la suite des turbulences provoquées par l'IKH et l'IRM. Ils montrent que les petites parcelles de champ de type magnétar peuvent être ordonnées en structures suffisamment grandes pour prendre en charge le lancement des flux du GRB. 
Les astrophysiciens trouvent que le champ magnétique induit un écoulement relativiste dominé par le flux de Poynting avec une luminosité équivalente isotrope d'environ 1052 erg s-1 et une éjection de masse post-fusion d'environ 0,1 M⊙ dirigée magnétiquement. Par conséquent, selon eux, l’hypothèse du magnétar, dans laquelle une étoile à neutrons résiduelle ultra-fortement magnétisée entraîne un jet relativiste lors d'une fusion d’étoiles à neutrons, est possible. Les magnétars peuvent donc être les moteurs de sursauts gamma courts et énergétiques, et ils devraient être associés à des kilonovas très brillantes. 

Kiuchi et coll. démontrent que même si le champ magnétique initial avait une intensité beaucoup plus faible ou une topologie différente de celle qu'ils ont supposée, la force de saturation et le profil de champ dus à l'instabilité de Kelvin-Helmholtz dans le résidu de la fusion seraient similaires à ceux qu'ils ont trouvés. De plus, la manière dont le champ magnétique poloïdal moyen est défini dans la réalité après la fusion reste un problème ouvert. Kiuchi et ses collaborateurs indiquent que si le champ magnétique poloïdal moyen juste après la fusion est une relique du champ poloïdal d'avant la fusion, soit entre 1010 et 1011  G au maximum, cela peut prendre environ 200 ms pour atteindre l'intensité de saturation de 1014 à 1015 G, car ils supposent que le champ poloïdal moyen est amplifié de manière exponentielle avec la période de la dynamo. Par conséquent, le jet pourrait être lancé environ 100 ms après la fusion en réalité. Mais ils rappellent aussi que la structure intérieure du champ magnétique dans les étoiles à neutrons avant la fusion n'est pas bien comprise, et que la reconnexion magnétique du champ poloïdal fluctuant généré par l'instabilité de Kelvin – Helmholtz pourrait améliorer le champ poloïdal moyen après la fusion.

En tous cas, cette preuve de principe qui relie l’amplification turbulente dans le magnétar au lancement des écoulements produisant un GRB est une belle prouesse. Non seulement il a fallu des années de travail pour développer les outils logiciels nécessaires pour permettre ces simulations, mais également un grand soin dans l'analyse détaillée de l'image turbulente complexe du résidu afin d'identifier quel processus de dynamo est à l'origine de la croissance et de l'ordonnancement du champ magnétique.

Kiuchi et ses collaborateurs concèdent que de nombreux processus importants dans la modélisation détaillée des émissions de GRB n'ont pas été pris en compte dans cette simulation (par construction, car même sur les superordinateurs les plus rapides disponibles au monde, une telle simulation ne serait pas réalisable). Cela rend donc difficile la comparaison directe des simulations avec des données d'observation comme celles de GW170817. Néanmoins, ces simulations inédites démontrent le vaste potentiel du domaine de l’astrophysique computationnelle et en particulier le rôle que la simulation numérique peut jouer dans la compréhension des processus astrophysiques qui ne peuvent pas être sondés en laboratoire. 

Les autres pièces du puzzle, devront être assemblées par les modélisateurs pour construire des modèles qui prennent en compte les résultats de ces simulations directes et les données d'observations, à un coût de calcul beaucoup plus réduit. Les efforts qui sont menés actuellement pour y parvenir sont par exemple des modélisations en grille de la physique qui se produit à des échelles plus petites que celles simulées, ainsi que des approches d'apprentissage automatique qui développent des réseaux de neurones qui apprennent sur des données de simulation à haute résolution en incluant la physique pertinente.

Source

A large-scale magnetic field produced by a solar-like dynamo in binary neutron star mergers
Kenta Kiuchi et al.
Nature Astronomy (15 february 2024)

Illustrations

1. Champs magnétiques produits dans un magnétar résiduel d'une fusion d'étoiles à neutrons (Kiuchi et al.)
2. signaux électromagnétiques du magnétar obtenus dans la simulation (Kiuchi et al.)
3. Kenta Kiuchi